Nick Cave sauvé par les siens

par Claude Ansermoz

Attendue depuis quatre ans, la nouvelle composition du rocker quadragénaire est définitivement la plus apaisée. La «faute» à sa femme, son fils et ses amis. Et comme le talent est intact, on applaudit des deux mains. Portrait sinueux d'un homme et de ses démons.

 

A force de chercher une sérénité qu'il n'a jamais vraiment souhaitée, Nick Cave est-il devenu un simple ouvrier du disque? A la première écoute du livret multimédia réservé aux journalistes, celui qui accompagne la sortie de son nouveau disque, on prend un petit peu peur. Dans cette interview sans questions, il avoue tout tranquillement: «J'ai écrit tout l'album dans un petit bureau que j'avais loué à Londres. Je me suis tenu à des horaires fixes: je me pointais à 9 h et je repartais en fin d'après-midi. Je rentrais ensuite chez moi rejoindre ma femme en laissant mes chansons derrière moi. Cela ne m'était jamais arrivé auparavant.»

Nick, punk ado et sauvage

On écarquille les yeux: où est donc passé le collectionneur d'excès australien, l'ancien punk aux seize overdoses, le plus génialement tourmenté des crooners encore vivants? Et puis on glisse la nouvelle galette dans le lecteur et l'écoute des douze ballades achève de nous rassurer: No More Shall We Part est son énième chef-d'oeuvre, certes mélancolique, mais assez éloigné des humeurs noires de ses précédentes créations (voir critique). Pourtant Nick Cave avait promis, en 1996, dans les colonnes de Libération: «J'aime mes obsessions, je veux garder mes démons, ils guident mon écriture et sont un antidote à cette vie médiocre.» Des démons qui remontent à l'enfance, où ce fils de professeur écrivain maudit passait ses loisirs à «éclater les têtes des lapins atteints de myxomatose». Et qui poursuivent leur sombre besogne à l'adolescence, quand le jeune Nick déboule en pleine vague punk en sortant un premier single, General Masturbation, avec les Boys Next Door. Puis vient le temps de la scène et de ses excès avec The Birthday Party, groupe que les promoteurs de concerts vendent alors comme «le plus violent du monde».

Exorciser le père

Et les légendes fusent. Comme celle qui veut que le bonhomme écrive ses textes du sang même de ses seringues usées de toxico. Entre Sao-Paolo et un premier mariage raté, Los Angeles et Berlin, Nick Cave trouve le temps de s'entourer de mauvaises graines. Ce sont elles, ses musiciens des Bad Seeds qui l'accompagnent dès le milieu des années huitante, qui sauveront peut-être sa mise. La décennie suivante, elle, semble marquer un tournant, entamée avec une cure de désintoxication. Pour exorciser le père, le fils écrit son premier roman, And The Ass Saw The Angel (Et l'âne vit l'ange, Editions Le Serpent à Plumes), traduit en treize langues et auréolé de nombreux prix. Plus tard, ses Murder Ballads en duo avec PJ Harvey, Shane Mc Gowan (ex-The Pogues) et surtout la très hit-paradienne Kylie Minogue le révèlent au grand public. Et la Bible, sa référence littéraire de toujours, devient salvatrice après avoir été maudite: «J'étais obsédé par l'Ancien Testament, confie-t-il au Monde, par ce Dieu de châtiment capable d'écraser une nation entière. (...) Aujourd'hui, je suis attiré par le Nouveau Testament et la vie du Christ, une figure plus douce et humaine que ce Dieu de colère.» Corollaire: «Ma musique était faite pour blesser. Elle est devenue plus mélancolique et compatissante.» Sa paternité rend également le musicien plus vulnérable: «J'ai un objectif à présent. J'étais un mauvais fils et un mauvais mari. Je serai un bon père.»

Et la mue se poursuit avec The Boatman' Call, en 1997. Un album sobre, émouvant, laissant ses démons de toujours au vestiaire. Quatre ans plus tard, No More Shall We Part confirme l'impression: «Je l'ai écrit pour ma femme, il lui est complètement dédié. J'ai beaucoup parlé de mes compositions avec elle, j'ai écouté toutes ses remarques. Je crois qu'elle est heureuse d'avoir pu participer à tout cela.» Tout cela, ce sont les heures que Nick Cave a passées accroché à son cadeau de mariage, un Steinway centenaire offert par ses beaux-parents. Sentimental, Nick? «Tout ce que je sais, c'est que je traverse une bonne période. J'ai des enfants magnifiques, une femme dont je suis amoureux et un travail que j'adore. J'ai même réussi à me faire une petite collection d'amis.» Le comble pour ce voyageur solitaire de 43 ans.

(dimanche.ch, 1er avril 2001)