Sacré Nick Cave

par Pascal Dupont

Le rocker punk s'interroge sur l'existence de Dieu et revendique le droit à la neurasthénie.

De disque en disque, et notamment avec le grave et solennel No More Shall We Part, sorti il y a deux ans, Nick Cave compose des chansons en forme de spirituals, affine des mélodies sacrées et polit des rimes proches de celles de Rimbaud, d'Apollinaire. Nocturama, son dernier album (Labels), pousse l'extase un peu plus loin. Dès le premier titre (It's a Wonderful Life), le leader des Bad Seeds, groupe punk tendance gothique flamboyant né dans les années 1980, annonce qu'il trouve le monde merveilleux. Illuminé? En privé, Cave, 45 ans, modère ses emportements et dit se défier des culs bénis et de leur prêchi-prêcha rédempteur. « Ce n'est pas toujours simple de croire. Si Dieu existe, pourquoi assiste-t-on à tant d'atrocités? La foi est irrationnelle. C'est ce qui en fait le prix. Il faut un peu d'imagination pour croire. » Quand on lui suggère qu'il ressemble à un saint Jean de la Croix du rock, le visage du chanteur s'éclaire. « Vous ne pouviez pas me faire plus plaisir. Sa Nuit obscure est un texte immense. J'aime le regard qu'il porte sur le Christ, du fond de sa cellule. C'est celui d'un amoureux transi, séduit par un homme à l'agonie et qui doute.»

Rocker dandy, Nick Cave n'a que peu à voir avec un moine poète. Pas plus qu'il ne cherche son inspiration, de nuit, dans la prière. Sa vie, de son propre aveu, a été «chaotique», doux euphémisme pour signifier une cinglerie ravageuse. « Avec le recul, je me dis que j'étais quand même assez frappé, rigole-t-il. Un des premiers titres des Bad Seeds était This Is a Kingdom, allusion au royaume des cieux. C'était gonflé. Je me demande comment le groupe et le public ont pu gober ça.» Après l'Australie, où il a grandi, le musicien a longtemps vagabondé entre Berlin, s'acoquinant avec les rockers industriels bruitistes d'Einstürzende Neubauten, et São Paulo, «ville de misère et du déni où les gens ne parlent que de foot et de carnaval.»

L'enragé d'hier s'est rangé. Il s'est finalement posé dans une maison de la campagne anglaise, au bord d'une falaise avec vue sur les moutons de la Manche. Chaque jour, il enfile un costume, pointe à son bureau (de 9 heures à 17 heures), ce qui veut dire lire un poème de Thomas Hardy, une page de Flannery O'Connor, écouter un air de Nina Simone ou de Van Morrison, avant d'écrire et de composer.

Au final, tout cela ne devrait pas donner une œuvre bien gaie. Mais Cave revendique le droit à la neurasthénie. « J'aime l'Angleterre. On y respecte ce droit imprescriptible d'être triste quand on veut. Mais ma musique n'est pas aussi noire qu'on le dit. J'aime aussi m'amuser. Dead Man in My Bed, par exemple, raconte la frustration cocasse d'une femme qui a du mal à trouver son plaisir avec un mari peu performant. J'adore l'humour tarte à la crème, Buster Keaton ou W. C. Fields, l'acteur ivrogne qui passe son temps à donner des coups de pied aux bébés. » Punk un jour, punk toujours. Et pas toujours très chrétien.

(L'Express, 13 février 2003)