L’art du contraste nuancé

par Christophe Dutoit


photo Polly Borland
 

Moins corbeau que jamais, Nick Cave vient de sortir «Nocturama», un quatorzième album habité de nuances et de contrastes. Loin de son passé autodestructeur et impulsif, l’Australien chante aujourd’hui l’amour avec une conviction inattendue. Le début d’une nouvelle vie en quête d’intemporalité.

Avec «Nocturama», Nick Cave a retrouvé l’urgence de ses années primesautières.

 

C’est un signe: depuis quelques semaines, Nick Cave arbore le cheveu court. Toujours noir, mais coupé carré. Comme sa musique.
A 45 ans passés, celui qui hantait Les ailes du désir de Wim Wenders et les caveaux berlinois d’avant la chute du Mur, celui qui trouvait l’inspiration dans la blanche, n’est plus ce ténébreux corbeau australien qui révolutionna la musique underground dans les années 1980.

Tirade de 15 minutes
Figure de proue du côté le plus sombre du rock, Nick Cave est aujourd’hui un chanteur acclimaté. Non pas qu’il ait perverti son œuvre de quelconques sonorités contemporaines, non pas qu’il figure au sommet des hit-parades, mais bien parce qu’il s’est résolu à ne plus révolutionner la musique. Tout en continuant de composer des hymnes à l’amour chantés de sa voix de crooner sinatresque.
Deux ans après la sortie du christique No more shall we part, Nick Cave revient d’une tournée mondiale avec un disque marqué par la nuance. Au romantique He wants you, ballade toute de sobriété entre un piano furtif et une mélodie éplorée, il oppose le terrifiant Babe, I’m on fire, longue tirade de quarante couplets – et 15 minutes de rock sauvage – où il hurle à la planète entière qu’il est… amoureux.
La richesse de Nick Cave réside dans ce jeu de contrastes. Qu’il rugisse ou qu’il susurre, que ses guitares soient acoustiques ou saturées, le charismatique leader des Bad Seeds n’a pas dérogé d’un iota de sa ligne de conduite depuis son premier disque avec The Boys Next Door en 1979. De la hargne, de plus en plus contrôlée au fil des années, des compositions stylées, caractérisées par de lentes montées en puissance. Un solfège écrit comme un acte amoureux, avec de longues et impatientes prémices qui tardent à secouer le corps d’une jouissance toute musicale.

Tardive notoriété
Longtemps dans la mouvance alternative, Nick Cave n’a connu la notoriété d’un large public que récemment. Grâce à Murder ballads, un album – et surtout un émouvant duo avec Kylie Minogue – qui lui a valu une reconnaissance sur le tard. Mais Nick Cave n’a pas eu le temps de bronzer sous les projecteurs de la gloire. Refusant un MTV Award en 1996, il tourne le dos aux pages people des magazines et se met à l’écriture de The boatman’s call, son album le plus intimiste.
Avec Nocturama, Nick Cave retrouve l’urgence de ses années primesautières. Allié à la plénitude de ses travaux récents, le résultat est à la fois extrême et paradoxalement pétri de subtilités. Une cohabitation qui lui permet de juxtaposer au poignant Wonderful life les brutaux Bring it on et Dead man in my bed, secoués par les spasmes électriques de Mick Harvey et Blixa Bargeld, ses deux fidèles guitaristes des débuts.

Du bruit au silence
Du murmure au chaos, Nick Cave habite ses compositions. Avec l’art de la couleur juste, de l’arrangement soigné. Parfois, un violon Cupidon décoche une flèche impromptue. Plus loin, un orgue Hammond vrombit un larsen à saturation.
Le poids des ans n’y est pour rien. Nick Cave mûrit sans renier un passé lourd d’excès. Avec Nocturama, il entre dans une autre vie. Celle, intemporelle, de la musique aboutie.

(LaGruyère.ch, 27 février 2003)