Entre bien et mal
Du blues essentiel
par Fara C, à l'occasion
de la diffusion du
Music Planet spécial Nick Cave sur Arte
Légendaire chanteur, compositeur, acteur et écrivain, Nick Cave entrouvre son mystère. Une sorte de dualité hante Nick Cave et le ballotte entre des états contradictoires. Si le chanteur (et pianiste) australien trouve mieux sa place dans le monde depuis la naissance de son fils (en 1991), la création artistique a longtemps été, chez lui, synonyme d'autodestruction. Alcool, came, spleen... Du trou noir dans lequel il se projette, il parvient toujours à toucher le fond et à rebondir vers une lueur fugace. " Je crois que le sentiment de satisfaction n'est pas productif, explique-t-il. Parfois je suis heureux d'être triste. " Son nouvel album, No More Shall We Part, reflète une quête qui emprunte des métaphores à la Bible. Ne pas prendre à la lettre les expressions employées. La chanson Oh My Lord évoque un monde qui n'a pas grand-chose de divin, mais qui se révèle plutôt inquiétant, tandis que, dans Halleluya, le personnage trouve refuge auprès de... son infirmière. Surprenant également, le titre God Is In The House dit : " Dieu est dans la maison / Et j'aimerais qu'il en sorte. " Nick Cave manie comme un beau diable le double sens, le paradoxe et l'humour. Lui qui prend les libertés les plus folles dans son art, il est obsédé par l'affrontement entre le bien et le mal. Quelque part, il appartient à la veine des poètes maudits. Remarquable auteur-compositeur, il joue aussi au cinéma, écrit des livres, des pièces de théâtre, des musiques pour des films (notamment les Ailes du désir, de Wim Wenders). Son goût pour l'ambiguïté et sa polyvalence artistique le rapprochent d'un David Bowie. · l'instar du chanteur anglais, Nick Cave a failli devenir peintre. Mais les Beaux-Arts l'ont viré, parce qu'il peignait phallus et obscurs dessins. La musique a mieux compris son blues existentiel et a magnifié celui-ci de mélodies déconcertantes. Ecoutez et prenez ce que vous voulez. C'est le verbe qui s'empare de l'artiste Nick Cave, et non l'inverse. " Je suis responsable des expériences que je choisis de vivre, des influences extérieures que je veux bien introduire dans ma vie, de me mettre au piano ou à la machine à écrire, mais pas de ce qui peut être issu de tout cela ", confie-t-il au mensuel Compact. Il ausculte minutieusement les mots ou les notes qui l'assiègent, les ingurgitent jusqu'à ce qu'ils deviennent son sang. Quand il travaillait à sa nouvelle Et l'âne vit l'ange (" And The Ass Saw The Angel ", 1989), il a fureté dans les dictionnaires et s'est élaboré son propre lexique à partir de termes peu usités. " Je trouvais comique d'écrire un livre dont la plupart des mots ne sont pas connus. " Né en Australie en 1957, Nick Cave a grandi dans l'amour du théâtre, de la littérature anglaise (que son père enseignait), de la peinture et de la musique (son frère aîné passait beaucoup de disques de rock, Genesis, Yes, etc.). En 1980, après trois ans de scène, il quitte la plus grande île de la planète pour l'Europe, où il se produit avec le groupe Birthday Party. En 1983, il entame une fidèle collaboration avec The Bad Seeds (" Les mauvaises graines "), formation qui l'accompagnera lors de sa prochaine tournée européenne. Au sein des Bad Seeds, on retrouve, entre autres, le guitariste Mick Harvey, partenaire musical depuis 1977, et le musicien allemand Blixa Bargeld, gratteux bruitiste qui engendre d'insolites atmosphères. Nick Cave a résidé à Londres, Berlin, New York, SÆo Paulo. Partout, il s'imprègne des rencontres, des gens et des lieux. Ses chansons, qui voyagent de punk provoquant en rock funk, de pulsations hypnotiques en lentes ballades, arpentent sans peine les décennies. (L'Humanité, 21 avril 2001)
|