Le Cave au violon

par Marc Besse

Sur ce disque bilan, saccagé par un violon bavard, Nick Cave visite toutes ses humeurs.

Beaucoup de ses anciens fans attendaient Nick Cave au tournant de son douzième album : ceux qui guettaient la rechute dans l’univers forain des Bad Seeds après l’échappée orchestrale de No More Shall We Part ; ceux qui comptaient lui mettre une belle volée en le voyant repactiser avec le diable rock ; ceux qui pensaient qu’il ne rééditerait jamais un grand disque comme le romantique Murder Ballads ; ceux qui s’attendaient à son réveil dans les eaux noires d’un blues poisseux… Que tous ceux-là se réjouissent : ils pourront cracher leur fiel à tour de rôle. Mais aucun ne pourra tout détester de ce disque. Car Nocturama est à la fois un condensé de toutes les époques de Nick Cave et un disque totalement atypique dans sa discographie.

Dès l’amorce de Wonderful Life, son chant maladif déploie sa puissance : même écrite à l’encre noire, sa musique sait s’exposer en pleine lumière et respirer les airs du grand large sans craindre l’insolation. La preuve avec l’élégiaque He Wants You, taillé comme un standard irlandais qui aurait cédé aux charmes des orchestrations piano-cordes. Si ce satané violon aux faux airs tsiganes avait su garder le silence, Right out of Your Hand aurait eu le même effet dévastateur sur les esprits troublés. Ce violon bavard semble avoir carte blanche et pleurniche partout ou presque : sur le Bring It on coécrit avec l’idole de toujours (Chris Bailey des Saints), sur le somptueux Still in Love, sur Rock of Gibraltar et sur She Passed by My Window, où il s’agite comme un moustique et transforme des ballades ourdies comme de véritables standards de country-blues en chansons à pleurer autour d’un feu de bois.

A deux reprises au moins, l’archet a été obligé de rabattre son caquet : quand Nick Cave se paie une crise d’adolescence et ressoude ses Bad Seeds comme une faction armée pour une expédition punitive au pays du garage-rock (Dead Man in My Bed, idéal les matins de gueule de bois) et le flamboyant – mais interminable – Babe, I’m on Fire, sorte de rituel pour exorciste qu’on sera libre de quitter à n’importe quel moment de ses quarante-trois couplets.


2 QUESTIONS À NICK CAVE

As-tu réalisé un rêve de gamin en enregistrant une chanson avec Chris Bailey des Saints ?

Sans les Saints, toute une génération de groupes australiens n'aurait jamais existé. J'ai longtemps essayé d'écrire avec Chris Bailey mais, chaque fois, nous nous mettions dans des états tels qu'il devenait impossible d'enregistrer quelque chose de correct.

Après douze albums, quel regard poses-tu sur l'ensemble de ta discographie ?

Je réenregistrerais Henry's Dream avec un immense plaisir. C'est le seul disque dont l'intention a été pervertie au moment de la production. Pour tout le reste, j'éprouve un énorme sentiment de fierté. J'ai 45 ans aujourd'hui, je pense avoir une chance incroyable de pouvoir continuer à faire des disques un peu marginaux. Ma seule angoisse maintenant est de vendre trop peu de disques et de me faire virer de mon label. D'autres artistes, plus célèbres que moi, ont connu ce genre de mésaventure.

(Les Inrockuptibles, du 12 au 18 février - N° 376)