La mélodie du bonheur

Propos recueillis par Claire Vallecalle et Laure Canosa

L'immense, le talentueux, le génial, il n'existe pas assez d'adjectifs pour qualifier le chanteur auteur compositeur et multi-instrumentiste australien Nick Cave. De retour avec un nouvel album, le voici en interview, plus heureux que jamais avec, en prime, des images de son live parisien.

Nick Cave est un artiste hors-normes sur la scène musicale internationale, d'une part, à cause de son timbre de voix sombre et, d'autre part, à cause de ses chansons aux textes souvent noirs et poétiques. Sa mine de fossoyeur ne l'a pas empêché de connaître petit à petit le succès en solo ou en compagnie du groupe The Bad Seeds (formé depuis 1983) avec en son sein Mick Harvey.

En 1996, il signe son plus gros succès commercial avec l'album Murder Ballads qui contient un duo avec Kylie Minogue. C'est à Abbey Road, les mythiques studios londoniens, que Nick Cave et The Bad Seeds se sont enfermés pour enregistrer le mélancolique et douloureux No More Shall We Part. Ils sont ensuite partis en tournée. Une bonne occasion pour nous de rencontrer un des plus grands songwriters des 2 dernières décennies.


Introspection
"Ce nouvel album, No More Shall We Part, parle peut-être encore plus de moi en tant qu'individu que n'importe quel autre des disques que j'ai faits par le passé. C'est une véritable introspection, un questionnement sur ma place en ce bas monde. The Boatman's Call était plus un disque de confession, dans la mesure où il avait à voir avec des éléments très personnels de ma vie qui ont été traumatisant pour moi. Certaines chansons de cet album traitaient en particulier de ma séparation avec une femme qui a beaucoup compté pour moi. Entre-temps je me suis marié et je suis très amoureux de ma femme, nous avons eu des enfants... et à vrai dire ma vie n'a jamais été aussi heureuse qu'en ce moment. L'aspect confessionnel de ce genre de disque est toujours accentué si des questions d'évènements sombres et tragiques viennent s'y ajouter, et c'était l'essence même de Boatman's Call. En fait, je pense que Boatman's Call était une analyse thérapeutique, un questionnement intérieur sur les raisons profondes de ma rupture avec cette femme. A la fin j'en ai fait une complainte tragique un peu exagérée, et c'est pour cela que je trouve ce disque assez ennuyeux et pompeux... avec le recul. No More Shall We Part est plus spontané, c'est en fait une observation du monde qui nous entoure, un monde dans lequel j'essaye de trouver ma place."

Clips
"Pour moi, le vidéo clip est avant tout un outil promotionnel. De nos jours, si vous voulez faire un disque, il faut aussi faire un clip. Ca fait partie du processus. (…) La plupart du temps, je déteste faire des clips. Ca me fait vraiment très chier et d'ailleurs, généralement ça se voit, comme dans certaines vidéos que l'on a pu faire par le passé. Parfois, si je travaille avec des réalisateurs que j'apprécie vraiment et dont je respecte le travaille, comme c'est le cas de John Hillcoat avec qui nous avons travaillé sur nos deux derniers single et quelques autres. Dans ces cas là j'apprécie de faire des clips car c'est stimulant et amusant à la fois. On s'est vraiment bien amusés à faire notre dernier clip pour Fifteen Feet of Pure White Snow. On a l'impression qu'il s'agit d'une fête en Europe de l'Est, genre dans des bureaux tout gris dans les années quatre-vingt. Et là on peut voir les Bad Seeds exécutant une chorégraphie dans le genre de celle de Michael Jackson et les zombies dans Thriller. C'est assez amusant à vrai dire. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer le truc, mais... c'est drôle, car on n'est pas très doués et ça se voit. On peut aussi voir Jason Donovan dans ce clip ainsi que Jarvis Cocker, et tout ce petit monde fait la fête. Ca c'est un clip que j'aime beaucoup car il est vraiment très drôle... en tout cas certaines personnes le trouvent drôle."

Histoires
"Si je devais me définir, je dirais que je suis avant tout un conteur d'histoires, des histoires qui, la plupart du temps, sont très drôles. (…) Plusieurs de mes disques ne sont basés que sur le fait de raconter des histoires plutôt que de parler de moi. C'était le cas en particulier de Murder Ballads qui est un disque que j'adore. Et une des raisons pour lesquelles je l'adore, c'est que je ne m'y reconnais pas trop. Ce sont juste des histoires que j'invente et qui sont assez drôles en général... et ça ça me plaît. En revanche, la plupart de mes autres albums sont plus personnels... même si je n'aime pas beaucoup ce mot là. Sur le dernier album, il y a une chanson qui s'intitule (...) Hallelujah, et j'y raconte une histoire. L'histoire d'un type qui va se balader et tout ce qui lui arrive ensuite. Dans ce cas là, c'est bel et bien une histoire mais je me sens en même temps très proche de ce personnage, donc c'est intéressant car c'est un peu un moyen terme entre mes différents processus créatifs. Hallelujah est une chanson extrêmement pudique. En fait, elle reflète... elle symbolise exactement ma vie aujourd'hui, en ce moment. Ma vie privée à l'heure actuelle est extrêmement préservée, calme et sereine, et à vrai dire je suis très heureux comme cela."

Bad Seeds
"Je n'ai plus envie de faire des disques comme No More Shall We Part. Le prochain, je pense, devrait être beaucoup plus musical. (…) Toutes les chansons de No More Shall We Part ont été écrites et composées par moi seul avant d'entrer en studio. Je les avais écrites dans mon bureau avant de les présenter aux Bad Seeds. Je les avais beaucoup travaillées et j'avais déjà les arrangements prêts dans ma tête. Tout était très clair. Les Bad Seeds n'ont donc pas eu beaucoup d'espace pour s'exprimer au niveau de la composition sur ce disque, et même à tous les autres niveaux... ils se sont juste contentés d'exécuter et d'enregistrer les morceaux en studio. Pour le prochain album je ne veux pas avoir le monopole comme se fut le cas ici. Je préfèrerais arriver avec quelques idées de textes et de mélodies pour ensuite composer et arranger des chansons aux côtés des Bad Seeds. Car je pense qu'ils sont vraiment très doués pour ce genre de choses, et c'est ainsi que les choses se passaient du temps de nos premiers albums. Au niveau des paroles, les chansons que je fais avec les Bad Seeds partent toujours de très belles idées au départ, très romantiques... puis , subrepticement, elles glissent vers l'agitation puis vers la paranoïa. Pour aboutir à un climat d'angoisse qu'entretient le groupe dans sa façon de jouer. Le groupe fait toujours preuve de plus d'inventivité dans sa façon de jouer s'il participe à la genèse d'une chanson, et je pense que les Bad Seeds sont vraiment excellents dans ce type d'exercice, définitivement."

Nostalgie
"Je ne suis pas très doué pour la nostalgie. Et il semble que cela ne me réussisse pas quand je m'y essaye. C'est un exercice qui a tendance à me déprimer à vrai dire. (…) J'ai du mal à me retourner et à envisager ma carrière dans son ensemble. Si jamais je me focalise là-dessus, cela peut vraiment me foutre en l'air. Je ne sais pas pourquoi ça me fait cet effet mais, tout ce que je sais, c'est que j'ai tendance à me focaliser sur tous les petits détails qui ne vont pas dans ma musique. Je vois juste que j'aurai pu faire les choses autrement et ça m'énerve... donc j'essaye de ne pas regarder en arrière. Le processus créatif me motive, me fait avancer, ça me propulse vers l'avant et je ne sais pas si c'est bien ou si c'est mal, mais en tout cas c'est ainsi que ça se passe. Musicalement, je pense qu'il me reste encore pas mal de choses à dire... et je pense à bien des égards qu'il me reste beaucoup de choses à apprendre sur la musique, après avoir passé tant d'années à me focaliser sur les paroles. A une période c'est vraiment tout ce qui comptait pour moi. Ces derniers temps, je pense que je m'intéresse plus à la création dans son ensemble, donc je pense qu'il me reste pas mal de chemin à parcourir et de contrées musicales à explorer."

Retrouvez cette interview en vidéo sur le site de MCM.net : http://www.mcm.net/news/index.php/23739/

(MCM.net, 02 août 2001)