Portrait d'un ange de l'amour
chanté
par Thierry Coljon
Nick Cave est un phénomène. Un artiste unique qui depuis vingt ans marque de son empreinte la musique populaire. Né en 1957 à Wangaratta, un bled situé au nord de Melbourne, en Australie, Nick se fait remarquer vingt ans plus tard au sein d'un groupe, Boys Next Door, où l'on retrouve Roland S. Howard et Mick Harvey. Fin des années 70, le groupe s'installe à Londres et se rebaptise The Birthday Party. Le mouvement punk est moribond mais ces drôles de kangourous ont gardé le meilleur d'une musique puissante, noire et violente. Nick se soigne en bossant comme un malade Quatre albums et années plus tard, Howard et Cave se séparent sur l'EP "Bad Seed". C'est à cette époque là que Nick et Mick croisent la route du Berlinois Blixa Bargeld, leader redoutable des Eistürzenden Neubauten. Barry Adamson et Hugo Race feront aussi partie à un moment de ce groupe qui deviendra Nick Cave & the Bad Seeds. En juin 1984 paraît "From here to eternity" que le "New Musical Express" considérait à l'époque comme "un des meilleurs albums rock de tous les temps". Nick s'installe à Berlin et ouvre de plus en plus sa palette musicale, quitte à reprendre Dylan ou Presley, quitte à oser révéler son tempérament de crooner sombre. En 1986, l'album de reprises "Kicking against the pricks" inclut des titres de Johnny Cash, du Velvet, de Jimmy Webb, de Gene Pitney... Nick, la moue boudeuse, l'élégance affirmée, peaufine son personnage de corbeau aux dons de poète, à même d'exploser après le plus tendre des moments. Sa rencontre à Berlin avec Wim Wenders inaugure une longue collaboration. Après son rôle dans "Les ailes du désir", Nick continuera, à l'instar de Bono, de composer pour Wenders. En janvier 1988, Nick Cave est arrêté et condamné pour possession d'héroïne. Pour échapper à la prison, il s'impose un programme de désintoxication. C'est à cette époque désespérée, où il touche le fond, qu'il écrit la plus poignante des chansons: "The mercy seat" dans lequel il chante I'm not afraid to die. Douze ans plus tard, Johnny Cash, malade, donnera tout son sens à ce texte. Nick tente de combattre ses démons dans l'album "Tender prey". Il collabore avec Anita Lane, avec qui il enregistra en 1995 "I love you, nor I do" de Serge Gainsbourg, sous la houlette de Mick Harvey avant de partir s'installer au Brésil, à Sao Paulo... où il rencontrera sa future femme Viviane. C'est là que les Bad Seeds se retrouvent pour enregistrer l'album "The good son" précédé par le premier (et seul à ce jour) roman de Nick: "Et l'âne vit l'ange". Nick se soigne en bossant comme un malade. Il reprend "Helpless" de Neil Young pour l'album-hommage "The bridge", en fait autant avec son idole Leonard Cohen, avec "Tower of song" pour le tribute "I'm your fan". Nick retrouve Wenders sur "Until the end of the world" et "Faraway, so close!". En 1992, il enregistre en Californie avec le producteur David Briggs (cf. Neil Young) l'album "Henry's dream". Dans le milieu underground du rock alternatif, Nick Cave est considéré comme un monument contemporain, avec sa horde de fans trouvant dans les chansons de Cave du baume pour leurs plaies. En 1994, l'album "Let love in" apportera aux Bad Seeds un début de reconnaissance auprès du grand public qui craquera tout à fait un an plus tard avec le duo "Where the wild roses grow" en compagnie de la poupée australienne Kylie Minogue. Ce sera le seul hit jamais décroché par Nick qui un an plus tard duettise avec sa nouvelle compagne: PJ Harvey ("Henry Lee" illuminant l'album "Murder ballads"). En 1997, culpabilisant, Nick publie le très beau "The boatman's call" aux textes inspirés par l'échec de son mariage. Musicalement, le chanteur australien à nouveau basé à Londres suit de plus en plus les pas d'un Leonard Cohen avec qui il partage son goût pour le spirituel et le divin. L'un et l'autre parlent souvent de Dieu dans leurs chansons. Les chansons de Cave sont de plus en plus épurées, de plus en plus belles. Il chante l'amour et la mort, son piano devient un compagnon obligé, ses fidèles Bad Seeds (Adamson n'est plus là mais bien Blixa et Mick rejoints par le violoniste des Dirty Three, Warren Ellis) servant de plus en plus à illuminer des mélodies d'une beauté inouïe, chantées d'une voix douloureuse, ombragée, convalescente. "No more shall we part" est un nouveau chef-d'oeuvre 2001: "No more shall we part" est un nouveau chef-d'oeuvre. Enregistré seul au piano avant l'apport des Bad Seeds, ce disque est constitué de douze chansons qui sont autant de lettres d'amour à une épouse un moment négligée. L'épisode PJ Harvey est clos: Nick, père de famille à nouveau apaisé, n'a jamais été aussi heureux de son propre aveu. "Hallelujah" le montre presque joyeux. "Love letter" parle d'elle-même comme "The sorrowful wife", un superbe hommage à la femme aimante. Plus jamais nous ne nous séparerons , dans la plage titulaire, ou Comme j'étais assis tristement à ses côtés , dans le single "As I sat sadly by her side"... Nick n'a pas peur d'user de cordes et de choeurs féminins pour illustrer le plus romantique des propos. Après une tournée américaine en solo, Nick revient avec ses Bad Seeds en Europe. L'on ne peut malheureusement que regretter le choix de l'infâme Brabanthal de Louvain qui ne devrait pas faire de cadeau à la finesse de chansons intimes apportant à la chanson d'amour ses lettres de noblesse. En piano-bar au Cobden Club Perdu au find fond de Camden Town, le Cobden Club, dans lequel Daniel Miller et Anton Corbijn ont des intérêts, est une sorte de petit salon particulier où divans, lustres, miroirs et dorures donnent ce petit cachet décadent allant à merveille aux soirées privées. Comme celle organisée pour le lancement du nouvel album de Nick Cave. Cent cinquante sésames seulement avaient été édités pour l'occasion. Soirée très privée donc qui permit aux privilégiés (des médias anglais et de la firme Mute essentiellement) d'écouter en avant-première l'album "No more shall we part" avant l'arrivée du maître. Le piano à queue noir est entouré de fauteuils. On croirait assister à un miniconcert de Nick Cave dans son salon quand l'homme, costume-cravate sur jean's et Repettos gainsbouriennes aux pieds, après avoir taillé une bavette avec Dave Gahan (Depeche Mode est de la même écurie), se glisse hypercool derrière son clavier pour présenter son complice Warren Ellis au violon. Ils attaquent ensuite à deux une version épurée de "God is in the house" suivie de l'ensorcelant "We came along this road". Nick se donne à fond dans l'interprétation, tapant du pied, frappant les notes, crachant les mots, rejoint par les coups d'archet puissants d'Ellis. Pour "No more shall we part", il se fait câlin avant une version poignante de "The Mercy Seat", plus que jamais sa chanson fétiche. Il fait mine d'en rester là quand quelques courageux osent un timide one more qui fait sourire le chanteur australien. Et l'on a droit à "Little Janey's gone" qui se trouve uniquement en bonus du single "As I sat sadly by her side" qu'il ne chantera pas, mais bien le superbe "Love letter" à tirer toutes les larmes du corps et un inédit qui ne se retrouvera pas sur l'album car trop déprimant pour les Bad Seeds : "A grief came riding". Nick remercie et s'en va sans se retourner. On appelle ça un cadeau royal... (Magazine des Arts et du Divertissement, 28 mars 2001) ... merci à Olivier P.
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