La Nuit du chasseur

par Thierry Coljon

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Nick Cave a donné, avec ses Bad Seeds, lundi et mardi, deux concerts historiques à l'Olympia. Tel un prêcheur tout de noir vêtu, le chanteur australien a donné le meilleur de son art.

Un concert à l'Olympia de Paris, pour un artiste, ce n'est jamais un concert comme un autre. Les deux dates programmées boulevard des Capucines, lundi et mardi, ont vite été complètes, fort logiquement pour ce chanteur d'une rare exigence artistique. Et l'on se dit que les Français ont tout de même plus de chance que nous qui, pour des raisons d'indisponibilité de salle (une raison supplémentaire de maudire "Roméo et Juliette"?), allons devoir nous farcir l'acoustique habituellement ingrate du Brabanthal de Louvain.

"The mercy seat" connaît un traitement éblouissant, à la limite de la rupture. Surtout que l'ami Nick nous arrive précédé d'un de ses meilleurs albums, ce "No more shall we part" révélant sa face la plus romantique et apaisée, avec cordes, piano et voix haute forçant l'émotion pure. Quand Nick débarque sur scène, entouré de ses fidèles Bad Seeds, il ne tient déjà pas en place et on sent dès "Do you love me" que la soirée ne sera pas pépère. "Oh my Lord" d'une puissance exceptionnelle confirme que le Cave ne s'est en rien assagi et qu'il est bien décidé à nous régaler avec un concert d'une force et d'une tension tout simplement magiques.

Habillé tout de noir (costume, chemise et cravate), Nick rugit, foule la scène comme un lion en cage, se tord comme si le démon le possédait, éructe comme si sa vie en dépendait. On pense à Robert Mitchum dans "La nuit du chasseur", Nick se transformant en prédicateur de ses chansons, le doigt levé ("Red right hand") ou visant le public complètement tétanisé.
Mais Nick séduit plus qu'il ne fait peur. On le sait réconcilié avec ses démons passés, on le chérit pour se donner ainsi à fond. Il se débarrasse de sa cravate pour "Henry Lee" avant que ne s'envole sa veste sur "The weeping song". Les titres du nouvel album prennent un relief plus brut mais tout aussi mélodique, le violon de Warren Ellis (le seul à être de blanc vêtu et à tourner systématiquement le dos au public) griffant une tranquillité qui n'a pas de place ici. Sinon durant le sublime "Love letter" pour lequel, il s'assied enfin derrière le piano, guerrier au repos. Mais pas fatigué...

Sa chemise noire, trempée, lui colle au corps qu'il utilise en vrai comédien. Ses interprétations sont foudroyantes, jambes écartées, face au public, Nick donne tout ce qu'il a dans le ventre, et les Bad Seeds de le soutenir avec un naturel, une pertinence et une justesse que seule une longue amitié autorise.

On le sentait venir, vu l'humeur du concert, "The mercy seat", récemment transfiguré par Johnny Cash, connaît un traitement éblouissant, à la limite de la rupture. Le concert bascule dès lors dans l'apocalyptique. Nick Cave est un ange noir suspendu au bord du précipice. Tout peut se passer, Nick préservant le naturel quand, par exemple, il commence les rappels par "God is in the house" au piano avant de pouffer, de jeter un fuck , et de passer à autre chose ("The ship song" puis "Stagger Lee"). Il reviendra une dernière fois pour ce bijou de "Janey's gone" ( Une chanson que vous ne connaissez pas, ce n'est d'ailleurs pas une bonne chanson, mais soit... , glisse-t-il, pince-sans-rire) qui ne figure pas sur son dernier album mais bien en face B de son dernier single.

La salle, debout, est aux anges. Celui qui vient de nous visiter ne doit pas être réel. Nick Cave pourra-t-il un jour répéter un concert d'une telle perfection?...

(Magazine des Arts et du Divertissement, 31 mai 2001) ... merci à Olivier P.