Let Love In
par Stéphane Davet
Dans la bouche de Nick Cave, cette invitation - Let Love In (" Faites entrer l'amour ") - hésite entre béatitude et maléfice. L'amour, thème central de son neuvième album, offre un parfait miroir à la dualité du chanteur australien. Sa fascination originelle pour les noirceurs de l'âme - concrétisée par l'extrémisme de son premier groupe, Birthday Party - s'est muée avec le temps en une approche plus subtile des émotions et des formes musicales. Il a transcendé sa passion du blues en retenant la substance plus que l'apparence, comprenant ses pulsions et sa force incantatoire. Il a détourné le romantisme des crooners, l'âpreté du folk, les délices baroques et le cabaret européen, pour servir ses obsessions ténébreuses comme ses recherches d'apaisement. Il a ainsi bâti une oeuvre unique, d'une constance remarquable. Ce nouvel album le confirme comme un auteur-compositeur au sommet de son art. Il y saisit l'ambivalence de passions amoureuses où plaisir et souffrance s'entremêlent constamment. Porté par l'ampleur de son piano, il parvient parfois à une extase quasi religieuse (Nobody's Baby Now, Lay Me Low, I Let Love In) mais peut aussi céder à un désir animal, à la violence exhubérante d'une incantation vaudoue (Jangling Jack, Thirsty Dog). Le plus souvent un même titre oscillera entre bluette et film noir, tendresse et cruauté (Loverman, Do You Love Me ?). Le calme trompeur de sa voix laisse entendre des orages intérieurs. Une subite exaltation peut mener à la lumière. Son groupe, les Bad Seeds, a depuis longtemps assimilé cette somptueuse gravité capable de coups de sang. Tantôt sorciers du bayou, tantôt musiciens en smoking, ils accompagnent Nick Cave au bout de ses obsessions. (Le Monde, 28 avril 1994) ... merci à Priscilla
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