Olympia, Paris - 28/05/2001

par Emmanuel H.

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Funambule contredit, Nick Cave vogue sur le fil du rasoir. Jamais ce soir, plus cornélien ne se fera le choix : la violence se raisonne, mais la sagesse rebrousse chemin devant la menace de ses pulsions assassines.

Dans la douceur, Nick Cave ouvre la porte de ses ténèbres. 21h15 : la chaleur de l'Olympia se love dans le coton des premières notes de " Fifteen feet of pure white snow ". Sur scène, les lumières translucides éclairent, timides, l'entrée pourtant modeste des Bad Seeds. Devant le bloc, le roi des corbeaux gémit sa lueur d'espoir, inocule le spleen. Mais, refusant l'apoplexie, c'est la rage qui refluera tout le long de ce premier set parisien, aux prises avec les effusions d'amour collective. De l'assistance, un anonyme scande : " We love you ! ". Le sourire esquissé par la réponse mime le cynisme : "I love you too. Sometimes ".
Nick Cave est devenu ambigu.
Sa musique a perdu certains automatismes, certains réflexes tribaux qui firent du King of Crows une incarnation terriblement humaine de la perte de contrôle, derrière les froides mécaniques de " The first born is dead " ou " Your funeral my trial ". Ces premiers efforts, enfouis sous la conquête progressive d'un certain classicisme, gardent en fait une certaine actualité : sous la glace, le feu brûle toujours. Les guitares crachent salement, et tachent la palette veloutée des pianos. Le corps sec de Nick Cave se convulse, nie sa propre logique. Le costume s'abandonne. " The mercy seat " déboule, saturé d'émotions. Nick Cave prêche, montre du doigt les premiers rangs. Et le visage de grimacer sous l'effort, la chemise de se gorger de sueur.
Qu'il se pose au piano le temps d' " Into my arms " ou " God is in the house ", une crispation incessante s'empare de Cave, victime de tensions indicibles et avouées, exposées à l'avidité d'un public médusé et nécessairement conquis. La candeur de " As I sat sadly by her side " subit elle-même les soubresauts de la prise de conscience, comme si Cave réalisait soudain l'urgence du moment, de la chance offerte de lui donner la force. Derrière, The Bad Seeds, immobiles et impeccables, déchirent puis enrobent les notes et leur donnent la respiration nécessaire, souffle vital des attaques du leader dandy (" The weeping song ").
Les efforts obsessionnels de Blixa Bargeld déconstruisent l'approche classique de la guitare, en butte aux rigoureux compléments rythmiques et harmoniques de Mick Harvey. Si " Papa won't leave you Henry " connaît certains tremblements, le groupe s'extirpe avec une classe méprisante du guêpier pour achever d'un dernier rappel un Olympia estomaqué par deux heures pleines, marquées aussi par les absences inévitables (" From her to Eterniy ", " Tupelo ") et la générosité d'une formation intemporelle, au retour forcé par les longues minutes d'un rappel final imprévu : quatorze minutes de cris et de joutes adressées au vide de l'absence.
Au bout, la lueur. Dans une dernière danse, neuf corps promis au repos, indécis et bousculés, réintègrent la scène et tombent le masque pour toujours.

(Obskür[e].com, mai 2001)