Nick The Astonishing

par Philippe Morrison

Aux confins d'une vision Rock'n'Roll mythologique, Nick Cave a depuis 15 ans réalisé l'une des oeuvres musicales les plus hanté de ces vingt dernières années. De plus, Nick Cave possède le charisme de ceux qui ont brulé leur vie par les deux bouts et en sont revenus. Ainsi allié à une voix unique, cet ex-punk iconoclaste est devenu une icône du monde Rock, respecté et adulé à travers le monde entier. The Best of Nick Cave and The Bad Seeds est la compilation qui nous permet de faire le point sur une carrière exemplaire.


KYLIE MINOGUE

"Tout s'est fait avec une telle facilité. J'ai écrit ce morceau rapidement pour Kylie Minogue, je lui ai envoyé et elle m'a répondu le lendemain qu'elle voulait l'enregistrer. Nous sommes rentrés en studio directement et tout s'est passé comme cela devait être, comme si c'était écrit... J'étais conscient que des gens allaient acheter l'album Murder Ballads pour ce morceau et en écoutant le reste de l'album se demander : mais qu'est-ce-que c'est que ce truc? Mais, j'aime assez ça, l'idée de pénétrer furtivement dans des chambres de gens où je ne devrais pas mettre les pieds."
En effet, si vous aussi vous avez découvert Nick Cave par cet album, vous avez du être surpris par la complexité de l'oeuvre de cet australien, devenu au fil de ces 10 albums studios, l'iconoclaste du Rock le plus atemporel. Est-ce du rock? Est-ce du blues? Est-ce un crooner? C'est que le personnage se remet régulièrement en question tout en maintenant le cap d'un style qui ne ressemble à aucun autre, tirant sa force des profondeurs de l'âme humaine.


OBSESSION

Issu du plus grand mouvement artistique iconoclaste de ces 30 dernières années (le Punk), son premier groupe Birthday Party s'est acharné à détruire le Rock'n'Roll dans un chaos d'électricité pornographique et de lyrisme désespéré comme en témoigne la compilation 'Hits' sorti en 1992. Mais, "La chose la plus frustrante lié au mouvement Punk était cette négation du passé, cette volonté de ne s'inspirer que de ce qui avait été généré par la génération elle-même " (Magic, janvier 1996). Aussi, Nick Cave n'allait pas tarder à se dépasser et se trouver en reprenant "In The Ghetto" d'Elvis Presley en 1985 et surtout l'année suivante avec son album bouleversant de covers. "C'est avec l'enregistrement de Kicking Against The Pricks que j'ai découvert que j'avais une bonne voix, que j'avais passé beaucoup de temps à chanter d'une manière qui ne m'était pas si naturelle, et que je pouvais être plus relax. Ce qui m'a aidé pour le disque suivant Your Funeral My Trial où le chant est plus intime et posé." À partir de là, les bases musicales de Nick Cave sont consolidées et il ne lui reste plus qu'à composer au gré de ses errances et de l'évolution de ses obsessions. Des obsessions qui épousent les contours d'une carte du coeur humain avec ses erreurs, son désespoir, ses amours et sa dévotion.


LEONARD COHEN

Ainsi, Nick Cave enregistre au bord de l'overdose l'un de ses meilleurs albums Tender Prey à l'âge de 30 ans, un album charnière qui aurait pu être enregistré en 1969 ou dans une semaine. L'année précédente en 1987, ce sera Wim Wenders, alors au sommet de sa gloire, qui le révèlera à un plus large public en faisant de deux de ses morceaux les piliers de son film 'Les Ailes Du Désir' où la musique de Nick Cave servira à unir l'ange Bruno Ganz et la mortelle Solveig Dommartin. Mais, il lui faudra attendre 1996 et ce single avec Kylie Minogue "Where The Wild Roses Grow" pour connaitre son plus gros succès. C'est à ce moment là que sa vie personelle se déchire. Il divorce en 1996 alors que son petit garçon a quatre ans et entame une liaison aussi passionnée qu'elle sera courte avec PJ Harvey. Alors, Nick Cave va en tirer son meilleur album depuis 10 ans qui lui vaudra le grand prix de l'académie Charles Cros en 1997: The Boatman's Call . Il a alors 40 ans.

Joué avec une grande confiance en soi, Nick Cave met ses émotions à nu tandis que son groupe les Bad Seeds s'intériorise et laisse une plus large place au piano. "J'ai beaucoup appris avec ce disque et il aura sûrement une grande influence sur les prochains disques s'il y en a d'autres. Parce que je ne veux pas enregistrer un autre disque autrement et en même temps je ne veux pas me répéter." Aussi, cette compilation arrive au bon moment pour lui permettre de se ressourcer et à ses nouveaux fans de découvrir la diversité de son oeuvre et la persistance de sa profonde qualité. Ainsi, Nick Cave peut se vanter d'avoir réussi l'union parfaite et unique entre le Rock, le Blues et le Gospel et de pouvoir se comparer à ses héros sans honte et avec fiérté : John Lee Hooker, Elvis Presley, Leonard Cohen, Johnny Cash, Tom Waits ou encore Bob Dylan.


EVANGILE SELON SAINT LUC

Profondément possédé par ses visions, Nick Cave avoue ne pouvoir écrire que sous l'emprise de la mélancolie, peut-être parce que "Je suis toujours conscient du potentiel douloureux lorsque je tombe amoureux" (Sydney Morning Herald. Novembre 1997). Et il ne l'aura rarement chanté aussi profondément que sur ces morceaux tel "Are You The One That I've Been Waiting For?" ou "Where Do We Go But Nowhere?". "Il m'a fallu 39 ans pour en arriver à écrire un tel album. Je veux dire que je n'ai jamais eu beaucoup de sympathie pour la race humaine et il y a du changement dans ce disque. Il y a plus de compassion envers notre condition en tant qu'être humain. Bien sur, c'est un disque très mélancolique mais, la solution à nos problèmes est avec les autres. Ils sont la cause de nos problèmes et en même temps la solution." Mais, la grande nouveauté de cet album est l'aboutissement de tout un mysticisme qui se laisse dévoiler au grand jour tel "There Is A Kingdom". Que l'on devinait depuis son roman 'Et L'âne Vit L'Ange' publié en 1989, mélange d'obscénité et de visions religieuses à travers l'histoire d'un illuminé muet dans une communauté du Sud des USA, qui doit beaucoup à Flannery O'Connor et William Faulkner. Nick Cave s'est expliqué sur son rapport complexe avec la religion dans un texte pour la BBC en 1996 que l'on retrouve dans le second volume de recueil de ses textes 'King Ink'. Assimilant Dieu au produit de notre imagination, il en déduit que "Dieu est notre imagination prenant son envol... À travers nous, Dieu trouve sa voix, car nous avons autant besoin de lui que lui de nous." Ce qui est loin d'être surprenant quand on sait qu'il est né dans une famille de confession anglicane et qu'il a chanté dans la chorale de sa paroisse quelques années (le temps de participer à son premier enregistrement Silent Night !!). Ayant exorcisé ses phantasmes de meurtres de l'être aimé avec l'album Murder Ballads (l'un de ses thèmes de prédilection depuis Birthday Party), Nick Cave peut enfin savourer une sorte de sérénité, même si elle sans doute illusoire et laisser une vision transcendée de l'amour emplir son coeur.

Avec ses textes traduits dans plusieurs langues, ses albums qui font de lui une valeur sûre depuis 13 ans, Nick Cave peut envisager calmement son avenir. "Je n'ai jamais eu d'ambitions par rapport à la musique, de toutes façons aussi loin que je me souvienne, je voulais plutôt être peintre. Et je n'ai jamais eu l'énergie pour pousser ma carrière ce qui fait qu'elle continue à son rythme sans une pression financière et des managers sur mon dos. Par conséquent, je jouis d'une total liberté pour faire ce que je veux. Et si jamais, je devais commencer à vendre une quantité impressionnante de disques aux USA, je m'interrogerais sérieusement sur ma carrière. Car je pense que c'est une régle que plus il y a d'argent impliqué dans une carrière, moins l'artiste possède de liberté." C'est bien l'une des qualités de Nick Cave de n'avoir fait de compromis dans sa carrière et de pouvoir quand même vivre confortablement de sa musique. Mais, maintenant qu'il n'a plus grand chose à prouver, saura-t-il prendre des risques ou va-t-il se contenter de gérer sa carrière?

Ayant su s'entourer de musiciens exemplaires dont Mick Harvey (une amitié d'enfance indéfectible), il rendit hommage au groupe de son guitariste Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten parmi les plus iconoclastes des groupes industriels du début des années 80) en des termes qui s'appliquent tout à fait à son oeuvre: "Grâce à un travail personnel et dur, à une absence constante de compromis, grâce à un effort de vérité, grâce à un amour pur de leur mode d'expression, ils sont arrivés à un son qui est d'abord authentique et qui est au plus haut degré le leur. Mais pas dans l'unique but d'être différent. C'est un groupe qui a développé un langage personnel pour une seule raison : donner une voix à son âme."

(Tribeca 75, juin 1998 - N° 13)