COMMUNIQUE DE PRESSE OFFICIEL

Sortie : 04 février 2003

En 2003, l’épopée héroïque de Nick Cave & The Bad Seeds entre dans une nouvelle ère. Les albums superbement aboutis sortis à la fin du siècle dernier, "Murder Ballads" et "The Boatman's Call", ont confirmé ce que beaucoup savaient déjà depuis la formation du groupe en 1983 sur les cendres des légendes australiennes Birthday Party: en tant que force expressive, les Bad Seeds possèdent une classe qui n’appartient qu’à eux, et Nick Cave est sans aucun doute un des rares songwriters et performers actuels réellement talentueux et sincèrement original.

[Nick Cave & The Bad Seeds photographed by Sam Barker]

Alors que le nouveau millénaire se met en marche, le groupe fait une pause. Les chansons d’amour sobres et authentiques qui figurent sur "The Boatman's Call" sorti en 1997 sont largement reconnues comme une des grandes réussites de Nick Cave. En 2001, "No More Shall We Part" fait la part belle aux compositions de piano posées sur un écrin aux arrangements très subtils. Les chansons de Nick Cave à l’immortalité spirituelle et émotionnelle sont ainsi joliment mises en valeur par une section de cordes dirigée par des collaborateurs de longue date nommés Mick Harvey et Warren Ellis.

On trouve toutefois sur "No More Shall We Part" quelque signes qui nous montrent que la face extravertie, cathartique et aventureuse des Bad Seeds, celle qui nourrit tous les disques depuis le violent premier album "From Her To Eternity" en 1983, est toujours bel et bien présente. Sur 'Fifteen Feet of Pure White Snow' et 'Oh My Lord', on peut entendre le groupe commencer à groover. Toutes les hypothèses faisant état d’une envie émoussée à l’idée d’utiliser le potentiel combustible de musiciens aussi corrosifs et adroits que Mick Harvey, Blixa Bargeld, Thomas Wydler, Martyn Casey, Conway Savage, Jim Sclavunos et Warren Ellis seront balayées lors de la prochaine étape franchie par le groupe dans sa longue marche.

Le douzième album des Bad Seeds, “Nocturama”, permet au groupe de renouveler son propos et se caractérise par une technique d’enregistrement et une diversité thématique plus immédiates. Les sessions ont lieu au début de l’année 2002 lorsque le groupe décide d’utiliser son temps libre lors d’une tournée australienne afin de travailler sur de nouvelles compositions. Finalement, le groupe apprend et enregistre l’album en une semaine.

“L’idée était de se débarrasser d’un peu de la préciosité inhérente à l’enregistrement d’un album et si possible de créer un disque comme on les faisait avant, quand les choses allaient beaucoup plus vite”, explique Nick Cave. “J’ai choisi d’écrire ce disque en jetant les bases musicales, en écrivant les paroles d’un trait puis en mettant tout ça de côté pour passer à une nouvelle chanson. Je ne revenais pas sur les chansons par la suite et je ne les rejouais pas non plus. Une fois que les chansons étaient écrites, c’était terminé, alors qu’avec le disque précédent "No More Shall We Part", j’avais arrangé toutes les chansons avant de rentrer en studio, ce qui a peut-être un peu inhibé le groupe. Si tout est déjà fait et que tout ce que le groupe a à faire est de jouer les parties écrites, cela ne leur donne pas beaucoup de marge de manœuvre tandis que sur ce disque les musiciens ont eu beaucoup plus de liberté”.

Un point de vue objectif est alors confié à Nick Launay pour la prise en charge technique. Le producteur britannique installé à Los Angeles a déjà travaillé avec Nick Cave bien des années avant d’enregistrer le premier single de Birthday Party, ‘Release The Bats’, en 1981. A la demande de Mick Harvey, Nick Launay accepte d’enregistrer les sessions. Le plaisir intense qu’éprouve le groupe à jouer ensemble permet à l’enregistrement de se dérouler dans une atmosphère décontractée et offre à “Nocturama” un côté brut, simple et primitif à la fois aux chansons urgentes et plus posées.
Comme toujours chez Nick Cave, il y a tellement d’ingrédients extraits de l’histoire de la musique qui imprègnent son oeuvre que son analyse n’est pas chose aisée. Même s’il reconnaît l’influence de quelques poètes, Auden et Thomas Hardy pour ne citer qu’eux, et de songwriters, Bob Dylan et Van Morrison, Nick Cave crée son propre univers sur “Nocturama”. Les changements d’humeur sont impressionnants, allant de l’abandon émotionnel à l’humour noir le plus venimeux. Il s’engage sur des thèmes très variés. On trouve une chanson tendre et pleine d’espoir, une chanson jouée au piano remplie de désir, une valse qui chavire aux sons des violons tristes, une preuve d’amour fanfaronne, une histoire odieuse et difficile, une évocation mélancolique de la perte, une méditation nostalgique, une épiphanie amoureuse parfumée et une épopée finale démoniaque et luxurieuse.

“Nocturama” pourrait très bien offrir un panorama complet de l’univers de Nick Cave & The Bad Seeds.

“En écrivant, j’essaye de m’analyser d’une certaine façon”, explique Nick Cave. “C’est la seule façon que j’ai trouvée pour comprendre ce que je ressens et ce que je pense”.

Souhaitant préserver l’ambiguïté et le mystère dans ses chansons, Nick Cave est souvent réticent lorsqu’il s’agit d’en aborder le contenu. En tout cas, parmi les chansons les plus belles et les plus évidentes qui figurent sur le disque, on retiendra ‘Wonderful Life’ ou encore ‘There Is A Town’, à la nostalgie exprimée en toute simplicité, toutes les deux ne nécessitant aucune explication de texte.

Sur ‘Bring It On’, le groupe déploie un groove noir et audacieux. La chanson bénéficie d’un duo extraordinaire grâce à la présence de Chris Bailey, ancien chanteur du glorieux groupe pre-punk de Brisbane, The Saints. “Il était à Melbourne à l’époque, je l’ai appelé et il est venu chanter sur ‘Bring It Home’, et il a chanté merveilleusement bien. Il a apporté une nouvelle dimension à la chanson”, ajoute Nick Cave. “C’est un chanteur merveilleux”. “ Les Saints étaient des dieux pour moi et mes potes. C’était extraordinaire d’aller voir jouer un groupe si violent et si anarchique avec un chanteur qui savait vraiment chanter”.

‘Dead Man in My bed’ suit immédiatement ‘Bring it On’ et hausse encore le volume sonore lorsque Nick Cave adopte le point de vue d’une femme blessée moralement par un compagnon inutile. “C’est une chanson qui parle de mariage”, explique Nick Cave. “Mais c’est aussi une chanson comique, drôle et sombre”.

La chanson la plus spectaculaire de l’album figure à la fin du disque où les Bad Seeds se lâchent sur une improvisation déjantée de ‘Babe, I’m On Fire’, démontrant leur maîtrise implacable et démoniaque. Avec ses 15 minutes, ce morceau de bravoure de 43 couplets (ou plus car beaucoup ne figurent pas sur la version enregistrée) où une galerie étrange de personnages hauts en couleur attestent du feu intérieur qui anime le chanteur. La chanson ‘n’a été jouée qu’une fois avant d’être enregistrée. “C’est parti d’une idée qui s’est imposée d’elle-même”, explique Nick Cave. “C’est le genre de chansons que vous écrivez sans avoir décidé de l’écrire”.

Le réalisateur John Hillcoat, qui a déjà travaillé avec Nick Cave sur le film ‘Ghosts of the Civil Dead’, est venu tourner les clips de deux titres extraits de l’album. Le single ‘Bring It On’ met en scène le groupe accompagné par des créatures à demi-nues qui se déhanchent devant les caméras comme dans les clips pop américains. “John Hillcoat m’a demandé ce que je voulais dans le clip”, dit Nick Cave, “Je lui ai demandé : ‘A quoi ressemblent les clips sur MTV en ce moment ?’ et il m’a répondu, ‘En gros, il y a beaucoup de filles noires qui remuent les fesses devant la caméra’. Je lui ai dit, ok, faisons ça alors”.

Les émotions qui ignorent les races caractérisent l’œuvre de Nick Cave depuis le début. Fils de professeur d’anglais et de libraire, il apporte à la scène post-punk du début des années l’intelligence qui lui fait défaut. Formé en Australie mais installé en Angleterre, The Birthday Party, groupe qui précède les Bad Seeds, est un défi expressionniste et apocalyptique lancé aux sens. Lorsque le groupe se sépare en 1983, Nick Cave rassemble autour de lui quelques musiciens féroces désireux et capables de le rejoindre dans la perversion et la célébration du blues, du folk et de toutes les formes de musique populaire. Le premier line up des Bad Seeds comprend deux membres qui font toujours partie du groupe aujourd’hui: Blixa Bargeld de Einstürzende Neubauten et Mick Harvey, ex-guitariste de Birthday Party.

Lors des deux prochaines décennies, le groupe de gentlemen gangsters connaît plusieurs remaniements, les musiciens vivent alors aux quatre coins du monde mais le niveau d’excellence reste lui toujours au sommet. "From Her To Eternity", leur premier album aux chansons menaçantes et hors normes, sort en 1984. Peu après, Nick Cave emménage à Berlin et commence l’écriture d’un premier roman. En 1985, la sortie de "The First Born Is Dead" voit alors les centres d’intérêts littéraires de Nick Cave – l’Ancien Testament, Elvis, le Delta blues – imprégner les thèmes de l’album.

"Your Funeral My Trial" garde l’énergie intacte et fait surface en 1986 en donnant la parole aux personnages hantés qui peuplent l’esprit de Nick Cave. Après avoir rencontré Wim Wenders à Berlin, Nick Cave et le groupe font une apparition dans le film du réalisateur ‘Les Ailes du Désir’ et dans un film de 1987, 'Ghosts Of The Civil Dead', où Nick Cave tient un petit rôle et dont la bande originale est signée Nick Cave, Blixa Bargeld et Mick Harvey.

Avec la publication de son premier livre, un recueil de textes intitulé King Ink, et la sortie en 1988 du chef-d’œuvre irrésistible des Bad Seeds ‘Tender Prey’, le séjour de Nick Cave à Berlin touche à sa fin. Il emménage en 1989 à Sao Paulo au Brésil où il enregistre l’album ‘The Good Son’ en 1990. Le roman de Nick Cave 'And the *** Saw the Angel' est finalement publié cette même année et reçoit un accueil triomphal, il est même sélectionné dans la catégorie Livre de l’Année par le magazine Time Out. 'And the *** Saw the Angel' a été traduit en quatorze langues.

La nouvelle décennie commence pour les Bad Seeds avec l’arrivée de deux nouveaux membres, le bassiste Martyn Casey et le clavier Conway Savage. En 1992, le bondissant “Henry’s Dream” bénéficie largement du talent des deux nouvelles recrues et l’album live de 1993 “Live Seeds”, capture le groupe alors qu’il se transforme en une des formations scéniques les plus puissantes et les plus authentiques de tous les temps. Le groupe continue de rendre compte de manière viscérale des passions les plus noires avec le glorieux album "Let Love In" en 1994.

Non sans ironie, l’album du groupe qui connaît le plus de succès commercial durant les années 90, “Murder Ballads”, voit le jour car il permet d’accueillir des chansons “trop longues et trop étranges pour figurer sur un album standard”. Exercice de style mêlant le comique et l’horrible, les histoires sanglantes de l’album offrent par exemple une version explicite du standard du blues ‘Stagger Lee’ et donnent lieu à plusieurs collaborations. La chanteuse australienne Kylie Minogue rejoint Nick Cave sur 'Where The Wild Roses Grow' tandis que PJ Harvey chante avec lui sur ‘Henry Lee’. Le morceau final, une version très spirituelle du 'Death Is Not The End' de Bob Dylan, nous donne l’occasion d’entendre Anita Lane et Shane McGowan des Pogues.

Alors que les années 90 touchent à leur fin, le personnel du groupe s’étoffe avec l’arrivée du percussionniste new yorkais Jim Sclavunos et du violoniste des Dirty Three Warren Ellis. L’incarnation live des Bad Seeds atteint alors un niveau d’intensité impressionnant. Avec les chansons personnelles et dénudées qui figurent sur "The Boatman's Call" en 1997, le groupe prouve qu’il est capable d’une instrumentation des plus relâchées comme des plus tendues.

Alors que sort aujourd’hui “Nocturama”, Nick Cave en est déjà à la moitié de l’écriture du prochain album. Le processus d’écriture est chez lui continuel, en partie admet-il, afin d’éviter le spectre effrayant d’avoir à recommencer après s’être arrêté. C’est en s’astreignant à ce régime de travail, s’enfermant dans son bureau et chargeant son piano Steinway de cendriers qui débordent, que Nick Cave met ses idées à plat et se bat avec sa muse.

Nick Cave & The Bad Seeds souhaitent dorénavant sortir des albums à un rythme plus soutenu. Ce qui est remarquable pour un groupe qui a toujours placé la barre très haut, c’est que le meilleur est peut-être encore à venir.

(ANTI.com, 05 novembre 2002) ...merci à Laurent (Labels)